(25/01/1888, Orléans [Loiret] – 06/07/1972, Saint-Rémy [Saône-et-Loire]), avocate, féministe et antialcooliste.
Suzanne Grinberg est féministe et l’une des premières femmes avocates en France. Elle adhère au mouvement antialcoolique au début de l’année 1914 : pendant une grande campagne de conférences organisée dans toute la France et baptisée "L’Alarme", elle participe à une dizaine de ces manifestations (la liste de meetings n'est pas exhaustive et inclut seulement ceux où la féministe prend la parole) :
le 17 juin 1914 à Nancy,
le 7 février à Alençon,
le 21 février à Clermont-Ferrand,
le 7 mars à Nîmes,
le 8 mars à Montpellier,
entre 13 et 16 mars, à Belfort et Épinal,
le 21 mars, à Lyon,
le 25 mars, à Lille.
L'action de "L'Alarme" est initiée par le groupe antialcoolique, formé à la Chambre des députés à la fin de l'année 1913 sous la présidence d'Henri Schmidt, et grâce à "une somme considérable" d'un "généreux philanthrope" Léonard Rosenthal. Elle consiste à "une campagne monstre de meetings" dans les grandes villes dans le but de sensibiliser la population aux différents problèmes de l'alcoolisme la veille des élections législatives. Comme ce groupe inclut les députés socialistes favorables au suffrage des femmes, le programme de la campagne contient des questions féminines et féministes.
"L'Alarme" ne dispose pas de conférenciers permanents, mais le profil d'orateurs, qui sont plusieurs à intervenir au même meeting, est bien défini : aux côtés d'un représentant des pouvoirs locaux le public entend généralement un médecin pour traiter l'alcoolisme du point de vue scientifique, un avocat pour aborder un aspect juridique, un syndicaliste pour parler aux (et de la part des) ouvriers, et une féministe. Des fois les thématiques se croisent. Ainsi, les discours de la Doctoresse Girard-Mangin relèvent du médical et du féministe, et ceux de Suzanne Grinberg allient le droit et le féminisme.
L'avocate évoque le plus souvent des liens entre l'alcoolisme et la criminalité, insistant particulièrement sur la criminalité juvénile. Elle y déculpabilise les enfants, expliquant que beaucoup d'entre eux souffrent des tares que leur ont transmises leurs parents – Suzanne Grinberg raisonne en termes de la théorie de la dégénérescence. Pendant la Première Guerre mondiale, le bulletin de la Croix-Bleue publie son article « Enfance coupable », tiré sans doute de ses interventions dans le cadre de "L'Alarme" :
"Que fait ton père, disait un jour le président de la 8e chambre correctionnelle, à Paris, à un gamin de quatorze ans, inculpé de vol au préjudice de son patron ? – Papa, répondit l'enfant, il me bat et il bat maman. – Alors, il boit ton père ? – Oui, monsieur, et c'est pourquoi, je suis là." [...] Coupable, ce petit voleur ?… Non pas, victime. Victime de l'alcoolisme qui pousse en France dans nos prétoires un nombre toujours plus grand d'enfants et d'adolescents. Cette recrudescence de la criminalité juvénile dont on s'alarme dans tous les milieux n'a pas de cause plus directe, plus profonde que l'alcool.
En 1922, Suzanne Grinberg soulève les mêmes problématiques à deux autres meetings antialcooliques, à Paris et à Nancy, le 26 mai et le 28 octobre respectivement.
Enfin, l'avocate et féministe est l’une des premières personnes à déclarer la guerre, à sa manière, à la nouvelle mode des cocktails : dans des circonstances que nous ignorons encore, Suzanne Grinberg donne quelques conférences sur le sujet à la fin de 1928 – début 1929, bien avant les médecins et les associations antialcooliques qui tirent la sonnette d'alarme en avril 1929. En février 1930 Suzanne Grinberg est même invitée par la Ligue Nationale contre l'alcoolisme à faire "le procès de la cocktailomanie" à une fête scolaire à la Sorbonne. Durant ces prises de parole, dans les termes plus que prudents, "modérantistes" dirait-on avec mépris à l'époque, elle déclare avoir goûté "aux plus renommés des cocktails" et ne proteste pas contre la consommation raisonnable, mais "contre l'abus qui s'intensifie chaque jour".
On ne sait pas si ses discours ont été trop modérés même pour la très tolérante Ligue Nationale contre l'alcoolisme, mais on ne trouve plus le nom de Suzanne Grinberg en lien avec le mouvement antialcoolique après cet événement.
Sur Suzanne Grinberg, voir :
Christine Bard, « Grinberg Suzanne », dans Christine Bard, Sylvie Chaperon (dir.), Dictionnaire des féministes. France XVIIIe-XXIe siècle, Paris, Presses universitaires de France, 2017, p. 679-682.