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  • Victoria Afanasyeva

Calendrier antialcoolique

Maria Alphonsine Beauda (1863-1945), plus connue comme la première épouse du docteur Paul-Maurice Legrain, fonde en avril 1899 l'Union Française des Femmes pour la Tempérance. Quelques mois plus tard elle lance La Source, l'organe périodique de l'Union, et sa carrière va crescendo. Madame Legrain devient le visage féminin du mouvement antialcoolique en France : elle donne des conférences sur les effets néfastes de boissons alcooliques, prodigue des conseils pour prévenir la maladie, participe aux congrès nationaux et internationaux, ouvre et gère des restaurants de tempérance (Aux petits repas hygiéniques et La Source), et s'intéresse aussi au traitement de buveurs.

La période la plus prolifique de sa carrière antialcoolique se situe entre 1899 et 1903, lorsque Maria Legrain dirige l'Union des femmes, se consacre au Patronage de buveurs accompagnant les malades et leurs familles, publie force articles et produit des objets de propagande dont le calendrier antialcoolique à effeuiller.


Annoncé dans le numéro de novembre 1900 de L'Alcool (bulletin de l'Union Française Antialcoolique de Paul-Maurice Legrain), l'objet est présenté comme "un véritable instrument de propagande qui, comme l'almanach, peut rendre de grands services, en appelant chaque jour l'attention des familles sur le grave problème qui nous préoccupe et en leur fournissant des avis, des conseils utiles. Affiché dans une classe d'école, il peut d'autre part fournir au maître matière à dissertations, à causeries, à devoirs". En effet, le calendrier est distribué et/ou vendu dans des écoles, des mairies, auprès des particuliers, en plus d'être offert en récompense aux élèves pour leur bon travail ou bonne conduite.


Sur chacun des 365 feuillets de la première édition se situent des citations tirées des "écrits de tous les abstinents convaincus" ; les éditions suivantes consacrent un tiers de leur volume à la tuberculose et à "la dépravation morale".


Voici quelques maximes que l'on pouvait trouver sur les feuilles :

  • Si l'alcool fait vivre ceux qui le vendent, il tue ceux qui le boivent.

  • Aujourd'hui, le doute n'est plus possible : l'alcoolisme s'étend progressivement et rapidement à la femme.

  • C'est une hypocrisie sociale qui consiste à soigner à grands frais des phtisiques tandis que, par la liberté absolue de l'empoisonnement alcoolique, on fait tout pour en augmenter le nombre (Dr Jacquet, médecin des hôpitaux).

  • Attendre quelque chose du gouvernement pour triompher de l'alcoolisme, c'est assez dire qu'on ne cédera qu'à la force. Il serait plus digne de s'affranchir du poison et d'entraîner les autres (Dr Legrain).

  • Société et buveur sont deux parties intéressées qui peuvent souvent se regarder en face et se demander laquelle des deux a été la plus coupable vis-à-vis de l'autre (Dr Legrain).

  • Citoyen, ouvre les yeux et tu verras qu'un peuple voué au culte de l'alcool est un vil esclave. Deviens libre, apprends à te diriger dignement, si tu veux diriger les autres ! (Dr Legrain)

  • On protège les allumettiers contre le phosphore, les peintres contre le plomb. On a raison. Mais pourquoi ne protège-t-on pas l'ouvrier contre l'alcool ? (Dr Legrain)

  • On trouve chez le cabaretier des billets de loterie pour l'œuvre des enfants tuberculeux. On y trouve aussi le petit verre qui fait la Tuberculose. Contradiction bien humaine (Dr Legrain).

  • Persuadons-nous que ce sont les efforts accumulés qui peuvent seuls vaincre les obstacles. Enrôlons-nous donc tous dans les Ligues antialcooliques.

  • Quelle différence y a-t-il entre L'Amer Picon et la Mère Gigogne ? - Le premier dépeuple, la seconde repeuple (Marcel Legrain, fils de Maria et Paul-Maurice Legrain).

  • L'alcoolisme n'est pas un vice, c'est une maladie.

  • L'usage modéré de l'alcool entraîne fatalement l'abus. L'alcool est partout l'agent de la décadence. L'alcool est un mal, supprimons le radicalement, c'est logique (Dr Forel, psychiatre suisse).

  • La question de l'alcool n'est autre que le problème social tout entier.

  • L'ivrogne est aussi digne de pitié que le tuberculeux. Plus peut-être, car chez lui le moral est malade à l'égal du physique.

  • La lutte antialcoolique à l'école est le meilleur exercice pour la volonté.

  • Le rôle de la femme dans la réforme tempérante est d'autant plus réel qu'elle est la première victime du vice intempérant.

  • Les ménagères ne perdront jamais leur temps à faire de la bonne cuisine. C'est autant de pris sur le cabaret.

  • C'est le cabaret qui fait l'occasion, et l'occasion est bien souvent la seule excuse du buveur (Dr Lassabatie, médecin de la Marine).

Le tirage du calendrier 1901 serait de deux milliers d'exemplaires dont quelques centaines sont restées non écoulées au début de l'année - le lancement tardif de l'objet et le manque de publicité peuvent expliquer ce reliquat. Les invendus sont recyclés : en février 1902, les feuillets restants sont retirés et redécoupés pour être transformés en "confetti antialcoolique": "On peut projeter ces confetti d'une fenêtre, d'un balcon, du haut d'un omnibus. Ils seront fatalement lus".

Le calendrier 1902, annoncé par L'Alcool dès le mois d'août, connaît un franc succès : son tirage est complètement épuisé en cinq semaines et l'auteure n'arrive pas à satisfaire quelques centaines de commandes. Pour l'édition suivante, Maria Legrain renouvelle deux tiers de maximes et augmente le nombre d'exemplaires imprimés. L'édition 1904 est la dernière à être mise en vente par l'intermédiaire de la librairie Nathan.


Si Maria Legrain arrête la production de son calendrier après 1904, ce moyen de propagande est repris par d'autres acteurs du mouvement antialcoolique français. Ainsi la Croix-Bleue publie-t-elle son calendrier à effeuiller dans les années 1900, et la Ligue Nationale contre l'alcoolisme - descendante de l'Union Française Antialcoolique de Paul-Maurice Legrain - édite ses éphémérides dans l'entre-deux-guerres.


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