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  • Victoria Afanasyeva

Maillet, une famille militante

Avit et Émile Maillet sont deux frères instituteurs, nés respectivement le 17 juin 1852 et le 13 mars 1867 à Mens (Isère) dans une famille protestante. Installés en région parisienne, les frères Maillet fondent en 1891 la Ligue contre l'usage du tabac dont Avit est président et Émile est secrétaire-fondateur. Parmi les sympathisants de la Ligue figurent les membres des élites protestantes parisiennes et les personnes de la "nébuleuse réformatrice" : Julie Siegfried, pasteur Ruben Saillens, instituteur Marius Fournat avec sa femme, ainsi que Jules Simon en qualité de président d'honneur. Le siège social de la Ligue est au domicile d'Avit Maillet, 10 rue Barye à Paris 17e.


Vers 1895, l'abus de boissons alcooliques inquiète de plus en plus l'opinion. L'école est désignée comme un des vecteurs essentiels de propagande, et le ministère de l'Instruction publique introduit l'enseignement de tempérance dans les programmes scolaires, par la circulaire du 2 août 1895. Les instituteurs Maillet sont ainsi parmi les premiers à être concernés par ce développement de la lutte antialcoolique. Le mouvement associatif se transforme au même moment, se débarrassant de l'image élitiste et masculine pour devenir plus populaire. De nouvelles associations se créent : elles sont ouvertes à toutes les Françaises et tous les Français de tous les âges et de toutes les conditions. Les frères Maillet se mobilisent, en adhérant dès sa création à l'été 1895 à l'Union Française Antialcoolique. Avit Maillet est nommé vice-président de la nouvelle association aux côtés de Paul Sérieux, médecin psychiatre et collaborateur du président-fondateur Paul-Maurice Legrain.


Les familles de ces instituteurs adhèrent aussi à l'Union Française Antialcoolique :

Liste de membres actifs et d'adhérents de l'Union Française Antialcoolique. Alcool, janvier 1896.

Avit Maillet ne figure pas dans cette liste car il est mentionné plus haut parmi les membres du bureau, mais on y trouve sa femme Angèle (née Ory le 17 juillet 1860) et trois de ses quatre enfants : Samuel né en 1881, Albert né en 1883 et Paul né en 1884. Ainsi ses fils, encore mineurs, sont déjà membres actifs (ou adhérents) de l'Union. Sa dernière fille Angèle, née le 6 mai 1895, n'y est pas (encore) admise.

Émile Maillet y est présent avec son épouse Marguerite (née Pfyffer le 26 avril 1876). En revanche, celle-ci n'est pas institutrice. Originaire d'Aubonne, en Suisse, Marguerite Pfyffer est arrivée en France au début des années 1890, sans doute pour parfaire son instruction et de veiller aux enfants d'Avit Maillet, car c'est là, 10 rue Barye, où elle est domiciliée au moment du mariage avec Émile.


En plus d'être instituteur et militant antialcoolique et antitabagique, Émile Maillet est aussi un poète engagé. En 1895, il publie des Sonnets antitabaciques, ou Guerre au tabac ainsi que Sonnets antibachiques, ou Guerre à l'ivrognerie, et en mai 1896, le bulletin de l'Union Française Antialcoolique présente son poème "Les enchanteurs modernes" dont voici un extrait :

Oui, partout dans les bourgs, jusqu'au fond des vallées, Comme Circé, des gens, par les nuits étoilées, Offrent à tout venant leurs élixirs mortels. Et la foule ignorante, à ces nouveaux autels, Accourt s'empoisonner, puis roule dans la boue, Sans que les criminels soient voués à la roue.

En avril 1899, Avit et Angèle Maillet assistent au 7e congrès international contre l'abus des boissons alcooliques, et la femme donne son adhésion à l'Union française des Femmes pour la Tempérance, fondée par Maria Legrain au lendemain de l'événement. Angèle Maillet s'intéresse vivement à l'activité de cette première association féminine, et s'engage dans le Patronage des buveurs, œuvre annexe qui consiste à visiter les familles des buveurs malades et en voie de guérison. Après le décès subite de son mari, en décembre 1900, elle maintient ses engagements antialcooliques : on la trouve par exemple nommée déléguée d'une section de la Croix-Bleue pour l'assemblée générale de cette association protestante abstinente, tenue en septembre 1901 à Saint-Étienne. Son fils Albert, âgé de 18 ans, est nommé suppléant pour cette rencontre. En mars 1902, au moment où Maria Legrain quitte l'Union française des Femmes pour la Tempérance, c'est Angèle Maillet qui accepte la présidence provisoire, alors que sa belle-sœur, Marguerite Maillet, devient vice-présidente.


Les Maillet semblent se détacher du mouvement après 1903 : seule Angèle Maillet figure parmi les congressistes du Premier Congrès national antialcoolique à Paris en octobre 1903, et c'est sa dernière apparition dans les documents d'archives. Probablement, ce désintérêt de la famille pour l'antialcoolisme est dû aux tensions internes qui déchirent le mouvement les deux dernières années, et avec lesquelles les Maillet seraient en désaccord.

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