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Victoria Afanasyeva

10 avril 1899 - formation de l'Union Française des Femmes pour la Tempérance...

...ou comment les Françaises ont failli s'affilier à la World's Woman's Christian Temperance Union.


En France dans les années 1890, malgré l'engouement général pour la lutte contre l'alcoolisme, il n'est pas vraiment question de fonder une association féminine, comme c'est le cas depuis plusieurs années en Grande Bretagne et aux États-Unis. Après la création de La Croix-Bleue et de l'Union Française Antialcoolique, ainsi que d'une dizaine d'autres associations mixtes, les Françaises y adhèrent volontairement et ne ressentent sans doute pas besoin dans une structure non-mixte.

En revanche, la World's Woman's Christian Temperance Union (WWCTU), fondée aux États-Unis en 1883, aspire, de longue date, à son implantation sur le sol français. Le 7e Congrès international contre l'abus des boissons alcooliques, tenu à Paris en avril 1899, est une bonne occasion pour tenter de motiver les femmes françaises à fonder une branche de cette union transnationale. En outre, Maria Legrain, épouse du principale organisateur du congrès, apôtre de l'abstinence Paul-Maurice Legrain, s'investit de plus en plus au mouvement antialcoolique et se présente comme une candidate idéale, pour les Américaines, pour prendre la tête d'une association féminine.


Ainsi, le lundi 10 avril 1899 - le lendemain après la cérémonie de clôture du 7e Congrès international - une intéressante réunion féminine se tient dans un amphithéâtre de l'École de médecine. Elle est organisée par Maria Legrain avec l'aide des membres de la WWCTU, venues à Paris pour assister au congrès. Plus de 300 personnes sont présentes ce jour dans les locaux de l'École de médecine : la rencontre réunit des bienfaitrices et des féministes françaises, des simples personnes intéressées qui sont, pour la plupart, déjà membres d'associations mixtes, et surtout des militantes étrangères, parmi lesquelles on remarque une Anglaise Charlotte Gray, une Finlandaise Alli Trygg-Helenius, une Allemande Ottilie Hoffmann, une Suissesse naturalisée Française Julia Merle d'Aubigné, ainsi que Miss Scott, une Anglaise vivant à Saint-Cloud.


D'après les comptes rendus assez détaillés, publiés dans deux principales feuilles féministes de l'époque en France - La Femme et La Fronde - les discussions acharnées portent sur le principe d'abstinence. Les militantes étrangères demandent le refus de toutes les boissons alcooliques par tous les membres de la future association, tandis que les Françaises s'insurgent contre cette éventuelle prohibition. Ainsi Maria Pognon, journaliste et présidente de la Ligue Française pour les droits des femmes, proteste contre les exigences drastiques qui mettraient en péril les bonnes volontés :

Elle se rappelle qu'elle est d'un pays de vignobles, où toujours le vin fut en honneur, dont il est une des principales richesses, et elle ne croit pas, du reste, que l'usage modéré en soit nuisible. Abstinente elle-même, puisqu'elle ne boit que de l'eau, elle ne veut cependant pas entrer dans un mouvement tellement exclusif dont elle craint de voir échouer les efforts par trop de sévérité. (La Fronde, 11 avril 1899).

Au final, la présidente-fondatrice Maria Legrain décide que l'abstinence complète sera uniquement exigée des membres actifs. Les membres adhérents s'engageront, à leur tour, "de ne faire qu'un usage modéré de vin, bière, ou de cidre".

Ainsi compromise, l'affiliation à la WWCTU - association strictement abstinente - n'est pas actée et est formellement rayée des statuts de l'Union Française des Femmes pour la Tempérance.

"L'Union française est affiliée à l'Union Universelle des Femmes pour la Tempérance et s'associe à ses travaux; elle garde néanmoins un caractère national et son autonomie parfaite. L'affiliation est sanctionnée par un versement de 0,05 fr par membre cotisant entre les mains de la Trésorière de l'Union Universelle des Femmes pour la Tempérance." Article X des Statuts de l'Union Française des Femmes pour la Tempérance, 12 juin 1900 (AN F7/12377)

Les comptes rendus de la réunion de 10 avril 1899 :

Marie d'Abbadie d'Arrast, "À propos du Congrès antialcoolique", La Femme, 1er mai 1899, p. 65-69 - voir sur Gallica.

Savioz (pseudonyme d'Adrienne Avril de Sainte-Croix), "Les femmes et l'alcoolisme", La Fronde, 11 avril 1899 - voir sur Gallica.

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